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Chand : La lune Courrier International, 30 oct. 2008
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Pour moi, le mot chand (ou chanda, le a final étant souvent muet) évoque d'abord et à jamais cette pleine lune resplendissante qu'on voit dans la grande scène d'amour du classique bollywoodien Chaudhvin ka chand (La Pleine Lune) que le légendaire Guru Dutt a réalisé en 1960. Ce chef-d'œvre du ci néma indien est entièrement tourné en noir et blanc à l'exception de la scène où la pleine lune évoquée dans le titre du film fait son apparition. Dans la douce lumière d'une énorme sphère argentée, le héros surprend sa femme, jouée par l'exquise Waheeda Rehman, endormie sur la terrasse de leur maison dans un décor qui rappelle le Taj Mahal, symbole indien de l'amour par excellence. Alors que Chaudhvin ka chand s'inspire de la culture musulmane indienne, il renvoie aussi à un thème très ancré dans la pensée hindoue. Un grand nombre des fêtes religieuses hindoues les plus populaires ont par exemple lieu en fonction des cycles lu naires. Parmi elles, il y a Holi, la fête des couleurs qui annonce l'arrivée du printemps, Raksha Bandhan, la fête de l'amour entre frères et sœurs, et Shivaratri ou nuit du dieu Shiva. Je me souviens des célébrations de Shivaratri où j'avais consommé comme tout le monde, des vieux jusqu'aux enfants, à qui l'on accorde des petites gorgées, cette boisson qui s'appelle le bhang, un mélange de yaourt, de sucre, de safran et d'opium. Je ne suis pas sûre d'avoir éprouvé l'union divine sous les auspices de la lune, mais en tout cas j'avais la tête dans les étoiles. Le mot chandme rappelle également une fête de la pleine lune dans la campagne perdue du Gujarat il y a une vingtaine d'années. Sur une plate-forme faite de bouse de vache… au milieu d'une plantation d'eucalyptus, on avait jeté un drap sur lequel étaient disposés des mets variés et des coussins. On avait aussi fait venir, dans cet Etat où la consommation d'alcool est formellement interdite, une bouteille de whisky. A tour de rôle, les convives chantaient des chansons, racontaient des histoires, jouaient de petites scènes comiques, jusqu'à ce que la bouteille soit vide et que la lune ait traversé le ciel d'un bout à l'autre. Pour les Indiens, la pleine lune attise le désir humain de s'unir avec quelque chose qui le dépasse. C'est peut-être ce que le gouvernement cherche avec la mission baptisée Chandrayaan, "transport vers la Lune", projet censé mettre l'Inde au même rang que des pays beaucoup plus riches et plus puissants et, je n'invente rien, assurer au pays un droit d'accès à l'exploitation minière de l'uranium lunaire. Dans ce scénario, la Lune contribuera à alimenter le nucléaire, cette technologie dite "de mille soleils" qui importe tant à New Delhi.
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